Libération: 15 Décembre 2016
Anne-Sophie Gindroz, ancienne directrice de Helvetas Swiss Intercooperation au Laos
Fondateur d’une ONG de soutien aux paysans, le leader communautaire Sombath Somphone est porté disparu depuis quatre ans. Les autorités du Laos sont pointées du doigt pour leur autoritarisme et leur politique répressive.
Il y a quatre ans, le leader communautaire Sombath Somphone était enlevé devant un poste de police à Vientiane au Laos. C’était le 15 décembre 2012. Dans d’autres pays, la police lance généralement un appel au public pour rechercher la personne disparue. Pas au Laos où l’on vous intime de ne pas poser de questions. Dans d’autres pays, la police accueille favorablement toute aide. Pas au Laos où les offres d’assistance ont été systématiquement refusées. Dans d’autres pays, la population et les médias sont encouragés à diffuser l’information. Pas au Laos où les avis de recherche affichés ont été déchirés et la publication dans les journaux est soumise à autorisation spéciale.
Quatre ans d’enquête n’ont donné aucun résultat. Et ce malgré les moyens de preuves à disposition, puisque l’enlèvement de Sombath a été filmé par une caméra de surveillance. Lorsqu’un gouvernement omet d’enquêter sérieusement sur une affaire, il devient complice en protégeant ses auteurs. Le régime laotien est coupable de faire prévaloir l’impunité au lieu de restaurer la justice.
Mais qui est Sombath ? Et pourquoi a-t-il disparu ? Sombath est ami et partenaire dans l’action. J’ai appris à connaître Sombath pendant que je travaillais au Laos où j’ai dirigé une organisation de coopération au développement de 2009 jusqu’à fin 2012, moment de mon expulsion du pays juste une semaine avant l’enlèvement de Sombath. Sombath est un citoyen laotien qui a consacré sa vie à œuvrer pour un avenir meilleur pour le Laos. Sa vision généreuse et holistique va bien au-delà de ce que les gouvernements, les investisseurs, les industriels et les agences d’aide peuvent proposer. Ce à quoi Sombath croit n’est pas limité à une politique de croissance économique, un plan d’affaires ou une proposition de projet. Car l’argent ne peut satisfaire un développement culturel, une vie harmonieuse avec son environnement et un épanouissement spirituel qui contribuent à notre bien-être et à notre dignité. Pour Sombath, le bonheur est lié à la façon dont l’être humain se connecte avec ses semblables, avec la nature, avec Dieu.
La loi du silence
En prônant sa vision, Sombath a remis en question le modèle dominant du développement et les politiques actuellement mises en œuvre au Laos, comme «Transformer la terre en capital». Cependant, Sombath n’a jamais organisé de protestation – toute manifestation est interdite au Laos –, mais il a ouvert des espaces de consultation. Sombath n’a jamais critiqué dans la confrontation, mais il s’est engagé de manière constructive à promouvoir des changements. Même avec la vieille garde la plus conservatrice, un politicien endoctriné ou un bailleur de fonds à l’esprit étriqué, Sombath voit toujours le côté positif des gens et croit au pouvoir du dialogue. Ayant foi en la jeune génération, Sombath a été un éducateur passionné, toujours désireux d’apprendre. Il a été un praticien de développement durable, devenant un modèle à travers son action. C’est ce qui le rend fort. Plus fort que les politiciens ou les experts du développement. C’est pourquoi tant de personnes au Laos et au-delà lui vouent un profond respect.
C’est aussi la raison pour laquelle Sombath a été ciblé par ceux qui ne sont pas prêts à ouvrir le dialogue, à entendre la critique, à s’engager pour des changements positifs. Ceux qui ne peuvent qu’opposer l’autoritarisme et la répression à un esprit généreux et visionnaire. Leur seule stratégie est d’imposer le silence. Mais nous ne nous tairons pas.
Cher Sombath, tu as défendu les personnes privées de leurs droits, et tu as parlé pour ceux qui n’ont pas osé le faire dans un pays où la parole n’est pas libre. A notre tour de défendre ta cause et de continuer à parler de toi. Pour beaucoup, ta disparition est une blessure qui ne guérit pas. Il n’y a pas un jour sans une pensée pour toi, et tu es dans chacune de mes prières. Le silence fait mal. C’est pourquoi je parle de toi avec mes enfants, mes collègues, mes amis. Ensemble, nous te gardons en vie.
Cher Sombath, tu n’es pas seul. Au Laos, d’autres «Sombath» défendent cette vision d’un développement juste et durable. Des enseignants, des paysans, des moines, des jeunes hommes et femmes, tous ceux qui ont eu le privilège d’apprendre avec toi bâtissent sur ton héritage. Ceux qui continuent cette lutte pour un avenir meilleur dans ce pays magnifique méritent d’être soutenus et de se sentir en sécurité. C’est pourquoi nous continuerons à demander «où est Sombath?» jusqu’à ce que justice soit faite. On ne t’oubliera pas. Le temps ne nous vaincra pas.