Libération: 2 août 2016
Le défenseur des petits paysans a été enlevé fin 2012 dans des conditions troubles. Au Timor oriental, une conférence citoyenne se penche sur sa disparition.
Il est l’un des disparus les plus célèbres d’Asie du Sud-Est. Et pour les autorités du Laos, Sombath Somphone est devenu un nom à taire, sinon une vie à occulter. Car dans la petite république démocratique populaire coincée entre le Vietnam et la Thaïlande et dans l’orbite de la très gourmande Chine, ce fondateur d’une ONG de soutien aux paysans, 64 ans, est un proscrit. Son histoire, emblématique de la situation des droits de l’homme en Asie, doit être évoquée à la conférence sur la société civile de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean) qui se tient à Dili, au Timor oriental, jusqu’au 5 août.
Mais le fort peu transparent Parti révolutionnaire populaire lao (PRPL) au pouvoir depuis 1975 ne veut pas en entendre parler. Il multiplie les obstacles pour que le nom de ce militant des droits de l’homme et de l’environnement, et surtout sa disparition forcée en 2012, soient tus à Dili.
Figure modérée et unanimement respectée au Laos, Sombath Somphone a été un des premiers à créer une ONG, le Padetc, qui lutte contre les accaparements de terres et œuvre pour le développement durable et le microfinancement.
Même disparu, Sombath Somphone reste un cactus pour les hiérarques autoritaires du PRPL. Depuis trois ans et demi, ils «ont été totalement réticents à se lancer dans une enquête sérieuse sur les causes de sa disparition, obligeant la famille du leader laotien à s’exposer»,analyse le juriste Rupert Abbott, qui a enquêté sur cette affaire quand il travaillait chez Amnesty International. Il est l’un des auteurs du rapport Caught on Camera qui, en 2013, tentait d’élucider les circonstances de la disparition.
Caméra.
L’affaire démarre à Vientiane le 15 décembre 2012 après 17 h 30. «Nous rentrions ensemble à la maison pour aller dîner, raconte sa femme, Ng Shui-Meng. Je roulais en voiture devant lui, Sombath me suivait avec sa Jeep quand il s’est fait arrêter à un poste de police du district de Sisattanak [le quartier sécurisé des ambassades et des lieux de pouvoir, ndlr].» Fort heureusement, grâce à un «jeune fonctionnaire heureux de nous aider à faire la lumière», Ng Shui-Meng a pu se procurer les rushs d’une caméra de surveillance. Et les images ne prêtent guère au doute. On voit la Jeep du directeur de l’ONG se garer. Il en descend quelques minutes plus tard et gagne le bureau de police. Puis un homme récupère sa voiture. Ensuite, un imposant 4 x 4 vient chercher trois personnes. Devant le véhicule, trois motos. Sur l’une, un homme armé tire en l’air. «Il n’est jamais revenu,poursuit Ng Shui-Meng. Et nous n’avons jamais retrouvé sa voiture.»Aucune information n’a filtré, aucune rançon n’a été demandée. Des Laotiens ont dit avoir aperçu Sombath. Cela n’a jamais été confirmé. Rien n’a jamais pu incriminer nommément le pouvoir laotien. Mais le fait que «Sombath Somphone ait été vu à un poste de police où il avait été arrêté et que la police n’ait rien fait pour empêcher qu’il soit emmené, au moment où un coup de feu a été tiré, suggère un certain niveau d’implication des autorités laotiennes», notait Amnesty en 2013.
«Les autorités continuent à dire aujourd’hui qu’elles mènent l’enquête,ajoute Ng Shui-Meng. Mais Vientiane est une petite ville et le Laos un pays minuscule. Si les autorités voulaient trouver quelque chose, elles pourraient.» Sans avoir reçu de «menace directe», assure son épouse, Sombath Somphone avait été discrètement mis en garde sur le danger de parler ouvertement.
Agé de 60 ans au moment de son enlèvement, ce militant d’origine très modeste venait de coprésider le Forum des peuples entre l’Asie et l’Europe, un vaste rassemblement de mouvements sociaux et d’ONG. «C’était la première fois que c’était organisé au Laos. Cette conférence n’a pu avoir lieu que parce que le Laos souhaitait être pays hôte d’un sommet intergouvernemental entre l’Asie et l’Europe, se souvient Anne-Sophie Gindroz (1), une humanitaire de l’ONG Helvétas qui a été expulsée du Laos en décembre, avant l’enlèvement de Sombath. Mais cela a déplu aux éléments les plus conservateurs du régime, qui n’ont pas apprécié que des associations débattent de façon critique des questions de développement. Sombath a remis en question ce modèle centré sur la croissance économique. Ils s’en sont sans doute pris à Sombath parce qu’il était la personnalité la plus respectée dans la société civile. Le régime a ainsi envoyé un avertissement.»
Enjeux.
Une dizaine de personnes ont connu le même sort ces dernières années, mais aucune n’a eu la chance d’être enregistrée sur une caméra de surveillance. Avant son enlèvement, Sombath Somphone enquêtait sur le sort de deux paysans arrêtés après avoir témoigné de cas d’accaparement de terres lors du Forum des peuples entre l’Asie et l’Europe.
Diplômé d’agronomie et doté de talents de médiateur, il a reçu en 2005 le prix Ramon Magsaysay, l’équivalent du Nobel de la paix en Asie, notamment pour son action auprès des jeunes et des agriculteurs. Mais la décoration ne l’a guère protégé. «Face aux enjeux géopolitiques dans la région avec une Chine émergente, son cas est passé au second plan», se désole le juriste Rupert Abbott. Ng Shui-Meng, son épouse, espère que Barack Obama évoquera l’affaire quand il viendra en septembre au Laos, qui préside cette année l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est. Maigre espoir pour que le plus célèbre disparu d’Asie du Sud-Est ne sombre dans les oubliettes de l’histoire opaque du Laos.