Le Courrier: 18 avril 2016
La république populaire du Laos ne tolère aucune protestation face à ses projets de barrages ou miniers . La coopérante Anne-Sophie Gindroz en a fait les frais en 2012. Elle signe un livre poignant.
Géographiquement pris en sandwich entre la Thaïlande et le Vietnam, le Laos est un pays qui fait peu parler de lui. Cette discrétion sur le plan international semble convenir au régime autoritaire en place qui continue à réprimer toute opposition impunément – notamment par des disparitions forcées.
Les simulacres d’élections législatives du 20 mars dernier n’ont trompé personne mais n’ont guère suscité de protestations de la part de la communauté internationale. Une situation qui a le don d’irriter Anne-Sophie Gindroz, ex-coopérante de l’œuvre d’entraide suisse Helvetas, qui a été expulsée du Laos en 2012. Un peu plus de trois ans après les faits, elle publie un livre1 qui retrace son travail sur place auprès des communautés locales chassées de leurs terres par le gouvernement «communiste» et relate les circonstances de son éviction.
Amie de l’activiste laotien Sombath Somphone2, vraisemblablement éliminé par les autorités la même année, Anne-Sophie Gindroz confie ses réflexions au Courrier depuis l’Indonésie où elle continue à œuvrer pour le droit à la terre.
Pour quelles raisons avez-vous été expulsée du Laos?
Anne-Sophie Gindroz: Les autorités laotiennes m’ont accusée de mener une campagne anti-gouvernementale et d’avoir violé la Constitution du Laos.
Le prétexte à mon expulsion: une lettre personnelle que j’avais adressée à cinq agences d’aide au développement et ambassades pour attirer leur attention sur la situation des droits humains au Laos et ses implications sur notre capacité à travailler pour un développement durable et équitable. Je leur demandais de ne pas sous-estimer les difficultés auxquelles toutes les associations laotiennes sont confrontées.
Vous étiez déjà depuis quelques temps dans le collimateur des autorités. Vous aviez été notamment accusée de vouloir organiser une manifestation, ce qui est interdit au Laos…
Ces accusations étaient infondées. A Helvetas, nous travaillions sur des dossiers sensibles. Je m’étais engagée sur la question de l’accaparement des terres, car un regroupement de producteurs locaux que nous soutenions avaient perdu leurs champs en raison de la politique gouvernementale.
Dans un autre village dans lequel nous appuyions un projet, l’eau d’une rivière avait été polluée au cyanure par une compagnie minière. Ce sont des questions qui ne peuvent pas être abordées de façon ouverte au Laos. J’étais devenue très visible.
Comment a réagi Helvetas à votre expulsion?
Helvetas a envoyé une lettre au gouvernement laotien réaffirmant que je n’avais fait que mon travail. Que je n’avais pas commis d’erreur professionnelle et que j’avais défendu les valeurs de l’organisation.
Et le gouvernement suisse?
Sur place, je tenais l’ambassade au courant de ma situation et je l’ai informée que j’étais exposée. Je me suis sentie soutenue. Après mon expulsion, l’ambassade suisse et certaines ambassades européennes m’ont assuré de leur appui.
Il y a eu une réunion entre des diplomates et le Ministère des affaires étrangères laotien, mais leur coordination a pris trop de temps. Et à peine une semaine après, l’activiste et leader communautaire Sombath Somphone a disparu après l’interception de son véhicule par la police.
Vous collaboriez vous-même avec Sombath Somphone…
Oui, et c’était d’abord un ami. Nous avons travaillé ensemble pour soutenir la société civile laotienne. Sombath a été le premier à mettre en place une structure non gouvernementale au Laos.
C’est une personnalité très respectée au sein de la société civile et très engagée en faveur d’un développement durable au Laos. Il était de très précieux conseils pour naviguer dans ce système autoritaire laotien.
Sa disparition et votre expulsion sont-elles liées?
Oui, je pense qu’il y a un lien. Sombath a coprésidé le Forum des peuples entre l’Asie et l’Europe. Et j’étais moi-même dans le comité d’organisation. Cet événement a représenté un tournant important.
C’est la première fois qu’était organisé au Laos un tel rassemblement d’ONG et de mouvements sociaux. Cette conférence n’a pu avoir lieu que parce que le Laos souhaitait être pays hôte d’un sommet intergouvernemental entre l’Asie et l’Europe. Une rencontre préalable de la société civile était un passage obligé. Mais cela a déplu aux éléments les plus conservateurs du régime qui n’ont pas apprécié que des associations débattent de façon critique des questions de développement.
Ils s’en sont sans doute pris à Sombath parce qu’il était la personnalité la plus connue et respectée dans la société civile laotienne. Le régime a ainsi envoyé un message clair pour dire: si cela peut lui arriver à lui, cela peut arriver à n’importe qui. Quant à mon expulsion, c’était un avertissement adressé aux ONG actives dans la coopération au Laos.
Vous estimez toutefois qu’ONG et agences de la coopération pourraient être davantage proactives…
On peut en effet travailler de manière à soutenir les éléments les plus progressistes de la société civile laotienne et œuvrer main dans la main avec les associations locales.
Nous pouvons aussi utiliser les relations que nous avons avec le gouvernement pour aborder les sujets sensibles et dénoncer les abus. Malheureusement trop d’agences gardent le silence.
Si la répression reste aussi peu visible au Laos, c’est parce que les gens ont peur, mais aussi parce qu’on se tait. Or le silence n’est jamais neutre. Quand on garde le silence, on prend partie. A l’extérieur, le Laos bénéficie toujours de cette image de pays paisible où règnent l’harmonie et la paix. L’absence de pression internationale – a contrario de ce qui s’est passé pour la Birmanie – favorise une certaine indulgence sur place.
L’enlèvement de M.Somphone n’est pas un acte isolé. D’autres militants ont été victimes de cette pratique…
Oui, en effet, mais il est très difficile d’avoir une vision précise de la situation des droits humains au Laos. C’est une question taboue. Il n’y a pas d’organisation locale dédiée à cette cause dans le pays. Et les organisations de droits humains internationales, telles qu’Amnesty, ne sont pas autorisées à entrer sur le territoire.
Il y règne un climat de peur qui amène les gens à s’autocensurer, et très peu d’informations filtrent. On ne dispose donc pas de rapport ou de données sur les cas de disparitions.
Après mon expulsion, nous avons tenté de collecter des informations. Ce qui est terrible, c’est que même des familles dont un membre a disparu ne veulent pas en parler. D’abord parce qu’elles ont peur, mais aussi parce qu’il y a un sentiment de culpabilité nourri par la propagande: «Si quelqu’un disparaît, c’est qu’il a forcément fait quelque chose de mal.»
Quelles ont été les conséquences de l’enlèvement de Sombath Somphone?
Le climat de peur s’est aggravé. Parmi les plus actifs, certains Laotiens et Laotiennes ont dû s’exiler et d’autres se sont désengagés de leur organisation parce que la pression était trop forte. Des réglementations plus restrictives ont par ailleurs été promulguées par le gouvernement, que ce soit sur la liberté de la presse, le contrôle des réseaux sociaux ou sur les associations locales.
Des citoyens ont été emprisonnés pour avoir publié des messages sur les réseaux sociaux considérés comme irrespectueux du parti. De leur côté, les organisations de coopération internationales ne sont toujours pas enclines à prendre des risques.
1.Anne-Sophie Gindroz, Au Laos, la répression silencieuse, expulsée pour avoir osé parler, Asieinfo publishing, 2016.
2.En 2014, une campagne a été lancée pour faire la lumière sur sa disparition et faire vivre ses idées. www. sombath.org